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EESSI: Fonctionnement technique de l'assurance maladie entre Suisse et France

Comment fonctionne ’end to end’ le remboursement d’un acte payé avec une Carte Vitale française quand on est assuré en Suisse

interesting

Note

Ce post est juste le résultat de quelques heures passées a essayer de comprendre une infime partie d’un monde que je ne connais pas. Il est très possible que je raconte n’importe quoi. Dans ce cas, vous pouvez me contacter avec plaisir 😊.

J’espère néanmoins que vous allez apprécier ce petit deep dive dans un monde bien différent, mais tellement intéressant.

Contexte

La plupart des pays civilisés ont un système d’assurance maladie décent1. Quand on est malade, on va chez le médecin et on se fait rembourser par la suite.

Ce qui est intéressant, par contre, et ce qui se passe aux frontières. Je vais parler de mon cas personnel, un cas typique de frontalier: choisir l’assurance maladie Suisse alors qu’on habite en France. Le système est déjà curieux. En effet, à la base, l’assurance maladie française s’applique a tous les travailleurs en France, alors que l’assurance maladie suisse est obligatoire si on réside en Suisse.

Il y avait donc la zone grise des personnes qui habitaient en France et qui travaillaient en Suisse. Ne tombant dans aucune case, elles faisaient souvent le choix d’une assurance maladie privée, et se faisaient ensuite rembourser les frais par l’assurance compétente.

Puis, les lois en changé en 2014, et les assurances maladie privées ont cessé d’opérer en France. Il fallait donc choisir entre le système d’assurance maladie français, ou le suisse.

Naturellement, les personnes ayant choisi le système d’assurance maladie suisse vont peut-être se faire soigner en France, voire y acheter des médicaments. Comment sont donc remboursées toutes ces prestations effectuées dans un autre pays?

Cette problématique en a rejoint d’autres: comment rembourser efficacement un accident qui a eu lieu dans un autre pays? Comment savoir si un résident Slovaque, recevant une pension Espagnole est toujours en vie? etc.

Structure

La Commission Européenne a mis en place l’EESSI2: “Electronic Exchange of Social Security Information”. L’idée est de protocoler ces échanges afin d’éviter les fastidieux fax, pdfs, et e-mails envoyés entre le différents acteurs.

Sans celui-ci, si je me casse une dent au Portugal alors que je suis couvert par une assurance accident suisse, le dentiste devrait contacter individuellement mon assurance accident, dans une langue qu’il ne connait pas, pour obtenir une demande de remboursement dans une devise qui n’est pas celle de l’autre pays. Bref, un joyeux bordel.

Concrètement, l’EESSI fonctionne de manière hiérarchique: chaque pays se connecte au backbone TESTA via ce que l’on appelle un access point:

TESTA network: https://ec.europa.eu/isa2/sites/isa/files/testa_overview_-_july_2017.pdf

Les access-point discutent entre eux via protocole S4 (pour faire simple de l’XML via HTTP).

Ensuite, chaque participant de chaque pays (assurance maladie, caisse chomage, etc.) interagit avec son Access Point et l’application RINA.:

RINA: https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/int/donnees-de-base-et-conventions/snap-eessi.html

A cette étape la, il est possible d’envoyer un message depuis n’importe qui vers n’importe qui. Ce “n’importe qui” est nommé “Institution” et chaque acteur à un ID unique 3.

Par exemple, Helsana (Assurance, vs l’autre: accidents) dispose de l’id 01562. Coté français, la CPAM de la haute savoie dispose de l’ID 0174100000.

A ce moment la, Helsana et la CPAM 74 peuvent communiquer ensemble en s’envoyant des messages via leurs IDs respectifs. Cela passera par le réseau TESTA et son broker central (Central Service Node).

Ouverture de droits

Quand un frontalier décide décide de s’affilier à la LAMal, l’assurance compétente (dans notre cas Helsana), va notifier à la sécurité sociale française (dans notre cas la CPAM 74) que c’est elle qui couvre l’assuré.

En effet, si l’assuré décide de se faire soigner en France (voire d’y acheter des médicaments la bas) avec sa carte vitale, c’est Helsana qui va payer les frais, même si celui-ci est assuré à la LAMal en Suisse. Petit apparté intéressant, mais les soins dentaires étant (partiellement) remboursés en France, ils le seront aussi pour un frontalier assuré en Suisse, qui se fait soigner en France en utilisant sa carte vitale.

Pour revenir à nos moutons, Helsana doit communiquer à la CPAM du lieu de résidence de l’assuré que celui-ci est couvert par elle même.

Pour cela, la procédure (Business Use Case) EESSI est documentée. Dans notre cas, il s’agit de la S_BUC_01 qui dit:

Description: As the regulation dictates, the insured person and/or members of his/her family shall register with the institution of the place of residence. Their right to health benefits in kind in the Member State of residence shall be certified by a document issued by the Institution from the competent Member State upon request of the insured person or upon request of the institution of the place of residence. The case described hereafter models the process that leads to the registration of an entitlement to the health benefits in kind of the insured person and/or members of the person’s family in the Member State of residence in case of a person without entitlement document. This process is started by the Competent Institution in the Member State of residence.

Legal Base: This Business Use Case document’s legal base is described in the following Regulations:

  • Basic Regulation (EC) No 883/2004
  • Implementing Regulation (EC) No 987/2009

Helsana envoie donc le formulaire S072 Entitlement Document - Residence4 à la CPAM. Ce formulaire S072, aussi anciennement connu sous le nom de “Formulaire S1” (c’est le même, mais en format EESSI) contient toutes les informations de l’assuré, notamment:

  • Nom, prénom, date de naissance, etc.
  • Nationalité 5
  • Période de l’ouverture (Open-Ended period, with start date)
  • Institution (dans notre cas: 01562) + numéro d’assuré

En réponse, la CPAM retourne le formulaire S073 Information of Registration - Residence avec grosso modo la même chose + l’identifiant de l’assuré coté français.

S_BUC_01 vs S_BUC_01a

Le protocole EESSI est plutôt bien pensé, car il semble y avoir 2 business use case concernant l’ouverture de droits:

  • S_BUC_01: le pays de résidence demande les documents d’ouverture (dans notre cas la France demande à la Suisse)
  • S_BUC_01a: l’institution compétente (Helsana, par exemple) s’annonce d’office vers la France (CPAM)

La différence entre ces 2 BUC est que le premier commence avec le document S071, pour enchainer avec S072 puis S073, alors que le deuxième fait uniquement S072-S073

Fermeture des droits

Dans le cas ou le frontalier venait à stopper son activité en Suisse (dans le cas d’un changement d’employ avec jours de carence par exemple), alors dans ce cas l’assureur suisse envoie le document S016 - Cancellation of Entitlement Document à la CPAM. Dedans, il faut y écrire entre autres:

  • Le document à clore (par exemple, un ancien S072 d’ouverture des droits)
  • La raison de la fermeture des droits (01: Not insured in our member state since, mais cela pourrait aussi être 05: Died on)

Les droits pourront être ré-ouverts par la suite si nécessaire, via un S073

Remboursement des prestations

Comme vu plus haut, si un assuré résidant en France mais couvert par la LAMal va se soigner en France (dentiste ou autre) alors il sera remboursé par l’institution compétente Suisse.

Cela se fait via la procédure S_BUC_19:

Description: This BUC depicts the business transactions of a reimbursement based on actual costs.

Plusieurs documents peuvent être utilisés dans ce BUC. Le principal est le S080 Claim for reimbursement (CLA), envoyé par la CPAM à Helsana, mais il y en a possiblement d’autres, tels que:

  • S081 Acknowledgment of claim for reimbursement (ACK_CLA)
  • S082 Contestation of individual claim (COC)
  • S089 Information on down payments (IDP)
  • etc

Lorsqu’une prestation est réalisée en France (ou payée via la carte vitale, qui va ensuite remonter à la CPAM), celle-ci édite le formulaire S080 avec les champs suivants:

  • Montant, devise (CHF, EUR, NOK, …)
  • L’IBAN de l’institution créancière
  • La raison de l’entitlement (dans notre cas S072, mais pourrais aussi être suite à un soin programmé à létranger (S2) ou via la carte européenne d’assurance maladie)
  • La nature des soins (maladie, maternité, accident, etc.)

Une fois recue, helsana répondra avec un S081 et fera un virement bancaire vers celui de la CPAM

Recap

Système super intéressant. Et en effet, logique dans le monde d’aujourd’hui. Nous n’avons vu qu’une toute petite partie, mais l’EESSI permet aussi de:

  • Gérer les allocations
  • Notifier (décès, rapport médical, résidence)
  • Gérer les pensions
  • Gérer les périodes de chomage
  • etc

Curieusement, le Royaume-Uni n’a pas quitté l’EESSI avec le Brexit, et j’aimerais dire “heureusement”, car je n’ose même pas imaginer le bordel sans ce système.


  1. Oui, c’est du troll ↩︎

  2. À ne pas confondre avec l’autre EESSI: “European Environment for Scientific Software Installations”… ↩︎

  3. Registre des institutions : https://ec.europa.eu/social/social-security-directory/pai/search-institution/language/fr/country/fr/translation/fr ↩︎

  4. Techniquement, d’après le BUC, l’envoi du S072 devrait se faire après avoir reçu de la part de la CPAM le S071 Request for Entitlement, mais je suppose qu’en pratique ils n’attendent pas d’avoir recu la demande pour envoyer l’ouverture de droits ↩︎

  5. Drôlement, les documents EESSI ne reconnaissent pas certaines nationalités comme Kosovo ou Taiwan ↩︎